jeudi 28 avril 2011

Feuilleton d'un chantier 2


Mais au milieu de la forêt, il y a des hommes. Ce ne sont pas des hommes préhistoriques. Au milieu de la forêt, il y a des hommes.
Ce sont des bûcherons.
Pas besoin qu'ils aient des haches. Une scie circulaire suffit. Avec cela, on peut déjà faire de bons bûcherons. Ils sont au nombre de deux. Ils ne portent pas de peaux de bêtes. Gardez en mémoire la Préhistoire mais débarrassez-vous de l'idée des peaux de bêtes, des silex, des bottes en fourrure. Ils portent des cagoules, des lunettes, des casques et des vêtements synthétiques fabriqués avec du pétrole.
Ils ont eux aussi allumé un feu. Le feu est éteint maintenant mais ça ne les empêche pas d'être fraternels, d'être une communauté. Même à deux bûcherons, ils sont une communauté de bûcherons. Une communauté consciente de sa fragilité bien sûr. Au premier accident, ils savent qu'ils ne seront plus qu'un bûcheron et qu'ils ne pourront plus accomplir leur tâche, ni faire du feu, ni porter tout ce pétrole sur eux avec un air d'insouciance. Ni être une communauté fragile. Ils seront comme vous, seuls dans une forêt.
Alors ils agissent avec prudence. Et ils agissent aussi avec méthode.
Ce ne sont pas des bûcherons comme les autres. Ils ne déciment pas la forêt. Au contraire. Plus ils travaillent, plus la forêt s'étend. Chaque jour, ils étendent un peu plus la forêt qui devient d'ailleurs un forêt plus complexe, plus sombre et plus ancienne. Ainsi passent les jours et ils ne voient pas l'inquiétude qu'ils bâtissent de leurs mains. Ils ne voient rien de mal à étendre plutôt qu'à décimer.

Jusqu'au 5 Mai, L'Espace Khiasma est un chantier de carton.
Olivier Marboeuf en propose l'étrange feuilleton.

Nous vous attendons le jeudi 5 Mai à partir de 18h30 pour le vernissage de cette suprenante nouvelle œuvre du duo Studio 21bis > réserver
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Où, quand, comment ?
Oeuvre in situ du Studio 21bis
du 6 Mai au 11 juin à l'Espace Khiasma
> en savoir plus

Feuilleton d'un chantier 1



« Imaginez que vous traversiez une forêt. Imaginez une forêt très ancienne. Imaginez une forêt domestique. Imaginez une forêt familière. Une forêt étrange. Une forêt à la Blanche-Neige. Imaginez une forêt à la peinture à l'huile. Comme c'est la nuit, vous faites un feu.
Vous imaginez la Préhistoire. Imaginez la Préhistoire mais pas les hommes préhistoriques, pas les mammouths, pas les tigres. Ne gardez que l'idée de la grotte. Essayez de garder l'image de la grotte comme seule image. Alors seulement vous pouvez allumer un feu. Avec des produits chimiques, mais sans jamais perdre un instant l'idée de la grotte et de la Préhistoire. Imaginez les profondeurs de la forêt. Imaginez un monde domestiqué, synthétique, fabriqué, mais à la fois sauvage et primitif. Imaginez un monde de l'enfance, mais en gardant à l'esprit la Préhistoire, les profondeurs sans animaux, et surtout l'image de la grotte et les ombres dessinées par le feu. Ne vous attardez pas sur les détails. Ne pensez pas à la faune, à la flore. Juste à la nuit et à l'odeur de fumée. Imaginez un accident dans la forêt. Imaginez des pierres énormes qui tombent du ciel et traversent les branches sans bruit. C'est important de l'imaginer sans bruit. Le son sera post-synchronisé plus tard. Tenez-vous à l'essentiel, juste une scène avec des odeurs et des ombres sur les parois. Et vous autour d'un feu familier, calme et rêveur sous un ciel étoilé.
Imaginez maintenant un météore. Imaginez une usine, une zone industrielle, des camions citernes, des voitures sur les toits des maisons. Imaginez un feu dans toute la forêt et jusqu'aux profondeurs. Imaginez que vous traversiez une forêt préhistorique, confortable et dévastée, qui n'a plus de profondeurs cachées, où les sons ont disparu, où il n'y a plus de traces, plus d'animaux, plus de chasseurs. Comme c'est la nuit, vous faites un feu.»

Jusqu'au 5 Mai, L'Espace Khiasma est un chantier de carton.
Olivier Marboeuf en propose l'étrange feuilleton.

Nous vous attendons le jeudi 5 Mai à partir de 18h30 pour le vernissage de cette suprenante nouvelle œuvre du duo Studio 21bis > réserver
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Où, quand, comment ?
Oeuvre in situ du Studio 21bis
du 6 Mai au 11 juin à l'Espace Khiasma
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lundi 25 avril 2011

ÉPOUSER STEPHEN KING 8


Tirage du 25 avril 2011

PAS DE RAMBARDE PAS DE POIGNÉES est la carte que je pose au centre. Qui colle au corps du bâtiment. À la limite. Pas à l'intérieur. On ne s'engouffre pas. On reste dehors. Quoi que tu voies ça ne se laisse pas prendre. Parce que c'est donné. C'est une distribution. Tu vois. L'appuis n'est pas au centre. La trajectoire s'obstine à le contourner. Traîne les savates. Évite le centre d'un écart. Du pied droit. En descendant dans une diagonale vers le sud-est je pose une deuxième carte. Pour la parité. Pour le contenu. Je reconnais son parfum lors de la mise en bouche. Prince à la vanille. Dans son emballage mi-bleu mi-blanc. Nous avons déjà rencontré LE ROI DE MA GUEULE. Et ses petits cheveux. Le belles mains sales du poète. Dans les rimes. Cette carte a des très gros doigts. Pour tirer les langues de son côté. Un goût redoutable. C'est une couronne à cheval sur nos molaires. Inoubliable. Pour gagner une dent cariée nous en perdons deux. Épousons-le. C'est un mariage dont nous ne faisons que parler. Justement. Sans réception à organiser. Sans faire-part juxtaposant ton nom au mien ou inversement. Lorsque LE ROI DE MA GUEULE se trouve au sud-est il est notre conscience debout. En très grande forme. La mâchoire musclée. Genre pitbull. Notre conscience. Elle peut nous secouer dans la nuit. Nous empêcher de dormir. Certes. LE ROI DE MA GUEULE ne touche jamais aux jambes. C'est trop bas. Pour lui. Il ne se penche pas. Nos pieds n'existent plus. Alors peu importe les chaussures. Les orteils courts. Les orteils ratés. Gardons les baskets. Ainsi cela ira confortablement. Au nord de PAS DE RAMBARDE PAS DE POIGNÉES je pose ROBINETS. Cette carte est une destination. Si nous partons. Ne serait-ce que deux jours. Je ne sais pas. Au grand air. Genre Marguerite Duras. Les ROBINETS ouverts sur une trajectoire. Pour nettoyer le foie la sève de bouleau est excellente. La cure. Dix jours de soustractions. Pourquoi pas. De claques verbales. Au téléphone. Ce n'est pas possible. Au sud nous disposons d'une carte pour les outils. PLUSIEURS PORTES. Enfin une carte avec des poignées. Tout un déploiement de possibilités. Pour toi. Les portes stockées dans ton disque dur. À l'ouest je pose LE MURET. C'est une petite limite à chevaucher. Sur laquelle tu peux collecter des cailloux. Des herbes. Goûter au tendre pignon de pin. Écrire ton nom à la craie. C'est un appuis. La carte posée à l'est indique ce qu'il faut rechercher. LE BATEAU DU NOUS. Notre amitié. Je n'ai rien à ajouter. Au sud-ouest la dernière carte embrasse ce tirage. GENRE MARGUERITE DURAS. Barbara Manzetti

jeudi 14 avril 2011

Manuel du voyageur impénitent / Un projet est en cours

© photo Matthieu Gauchet

C’est le printemps, les lilas s’ouvrent, le paysage change, on cherche son chemin dans la ville en mutation. Comment faire ? On se questionne beaucoup. On a vu de la pénombre. Enfin. On est entrés.
On nous présente un choix d’entrées du manuel. Au menu : préparer un terrain, inventer un territoire, enquêter, trouver un emploi, déterminer un périmètre, examiner des frontières, habiter…
Sous la lumière des lampes de bureau, trois arpenteurs de terrain vident leurs poches, nous livrent des méthodes, des explications. Les données ordonnées chantent : on prend des repères, la mesure des flux, le pouls de la ville.
Le peuple de l’eau et les montagnards seront réunis sur un territoire élargi qui commence à prendre corps, nous sommes invités à en caresser les reliefs.
La voix de Foucault résonne, nous parle de planètes nées dans les interstices des mots, de lieux utopiques, de moments uchroniques, d’espaces absolument autres.
Une partition silencieuse de notes urbaines est accrochée au mur tandis que défilent toujours des vues énigmatiques, photographies de lieux qui nous semblent familiers et pourtant… des bâtiments ont disparu.
On nous conseille sur les méthodes de recherche d’emploi, on nous donne des exemples.
On ferme les yeux et on visite le quartier des Sentes, puis nous voilà en pleine forêt amazonienne : là-bas point de chats effrayants ou de portails ouverts, on se repère aux arbres.
Un grondement sourd, soudain. Des barres d’immeubles disparaissent, implosant, vidant le paysage dans un nuage de poussière.
Il y aura du changement. Un projet est en cours.



© photo Matthieu Gauchet

Conférence performée du samedi 9 avril à 18h dans le cadre du festival Relectures XI.
Une proposition d'Olivier Marboeuf, Caroline Masini, Axel Rogier-Waeselynck, Lorena Dozio, Fernando Cabral.
> voir la vidéo

Manuel du voyageur impénitent est un projet de la plateforme Mythologies
http://www.khiasma-mythologies.com/


mardi 12 avril 2011

ÉPOUSER STEPHEN KING 7

Tu cherches le rideau avec la main. Je me souviens qu'au fond de cette pièce se trouve un bois d'érables. Que la couleur des arbres à l'automne se marie bien avec les fauteuils en cuir marron. C'est un monde différent. Un garçon de 9 ans traverse la rue. Les façades sont brillantes de verre fumé. Et le fantasme de rentrer chez les gens est mort. Les phrases sont plus longues. On pourrait presque parler de la générosité du texte. Ces grandes phrases enveloppantes comme des maisons de campagne. Des larges phrases à carreaux de pure laine rangées en rouleaux. On est dedans de toute façon. Sur la table noire de la cuisine le journal est ouvert. Je lis en épluchant les carottes. La betterave crue. Le panais. Les pommes de terre. Un zeste de nostalgie. La radio est allumée. Une vague bleu marine est en train de se profiler à l'horizon. Marine Le Pen cherche dans le tiroir de droite son maillot de bain. Le four chauffe. Le frigidaire vibre. Frissonne. Olivia Newton John entre dans le texte sans laisser de traces de pas. Juste des Points. Des noms. Des détails. Une paire de socquettes blanches. Des citations. De la matière fraîche. Qu'est-ce qu'elle fait là? Ça sent la basket. C'est quelqu'un qu'on a réussi à oublier. Grease. Un pur rêve devant la fenêtre protégée par les barreaux en crochet. La maladie d'Alzheimer. Ça tache les doigts. C'est Bouddha. C'est le Christ. C'est un garçon de 11 ans qui remonte la rue Candale à Pantin. Il est en plein Bakounine. Grand. Fort. Courageux. Et ces cheveux frisés. La chemise à carreaux obligatoire le précède. Turquoise. Souriante. J'oublie son prénom parce que je suis éprise du mur de cette maison. Rouge rouille. Il dit : Dans une aussi belle maison il ne peut habiter que quelqu'un de mauvais. Je dis : Mauvais comment? Il dit : Mauvais comme mon prof d'anglais. Les bons habitent autrement. Des petites chambres. Où la lumière zénithale est hors de question. Le rebord de fenêtre pour poser les baskets. Personne n'est à la maison sur le coup de midi de toute façon. D'ailleurs la voisine profite de la journée pour pleurer. On rajoute une cloison pour ne pas l'entendre. Une femme dans chaque chambre à chaque étage. L'odeur de café. Personne. Barbara Manzetti

Epouser Stephen King / activations du 5 au 10 avil à Khiasma (festival Relectures XI)

ÉPOUSER STEPHEN KING 6

Bonjour.

Voici la musique. Et nous voici. Ensemble mais pas mélangés. C'est un Mirage. Une peinture apparue sur un visage. Pour nous. Une disposition de nos corps en attente. Pourtant. C'est un mirage. Un livre. Une oeuvre en forme de bouclier. C'est faire avec des belles mains des choses qui n'ont pas de nom. Ce n'était pas à proprement dire un baiser. Plutôt une respiration. Du bouche à bouche. Notre truc à nous. Comme tu veux. Ça se termine par du rouge aux joues. Et ces pensées visibles. Sorties des ténèbres.

Barbara Manzetti, ÉPOUSER STEPHEN KING
090411 à KHIASMA

Epouser Stephen King / activations du 5 au 10 avil à Khiasma (festival Relectures XI)

jeudi 7 avril 2011

ÉPOUSER STEPHEN KING 5


Bonjour.

La guerre. C'est une colonne de fumée. Dont nous partageons la perspective. Chacun depuis une autre fenêtre. Pour nous. La parole tourne autour de cet instant. De fumée. Elle se mord la lèvre. Pour achever un mot qui continue de sortir. De sa bouche. À force d'attendre. Le temps arrive. Comme quelqu'un qui est toujours là. Le monde est à chaque fois différent. Les murs sont amovibles. Ce n'est pas quelque chose comme ça qui tient tout seul. On n'a rien inventé. Les branches dépassaient le mur d'enceinte. Alors le béton continuait en bourgeons et les bourgeons continuaient en fleurs blanches juste au dessus du chemin de la déportation. Mais on a fait peu de choses et mon coeur est vide. Il s'échappe de son cartable au moment où il le laisse tomber par terre. Il est grand comme une paume. Colorié au feutre rouge et rose par la même petite personne qui a galéré pour le découper. C'est joli. Comme un coeur. Beaucoup plus simple. Et pas cher. Avec le coffrage des murs et du plafond. On est un peu au coeur de quelque chose.
Barbara Manzetti

Epouser Stephen King / activations du 5 au 10 avril à Khiasma (festival Relectures XI)

dimanche 3 avril 2011

ÉPOUSER STEPHEN KING 4



Tirage du 3 avril 2011 à Pantin


Réveil fluo. Ciel au repos dans les gris. Monde tu. Dans le confort bleu d'un jean 50% lycra je pose un tirage blanc sur fond blanc. Que j'augmente de rouge amaryllis. Le coup du rouge gorge. Âpre. Coulis de framboises. Versé sur la surface calme d'une pannacotta. Pas un frisson. Je tire une carte pour l'apparence. LES CONTES ALGÉRIENS est une carte qui ne se lit pas. Cela reste en dehors de l'écrit. Je le dis. Tu l'entends. Tu le racontes à ton tour. Dans d'autres circonstances. Tu es entendu. Voilà. Ainsi de suite. Dans le temps. La transmission se fait par la bouche. Pas besoin de se laver les mains. En bas à gauche je pose une carte pour le contenu. RABELAIS. Le geste est vert. RABELAIS. Tu es saisi par le mouvement de l'arbre. L'écriture serrée du feuillage. Son oscillation calme. Que tu veux pour épine dorsale. Que je veux pour cheveux lâchés. Gravité zéro. Ce nuage radioactif avait-il une saveur? Au nord des CONTES ALGÉRIENS je pose une carte pour la direction à suivre. DES ÉPINGLES FRANçAISES est la carte du porte à porte. Interphones. Codes. Sonnettes. Chansons. Je vais. Je vais. Vendant des épingles. Je vais. Vendant. Vendant des épingles françaises. En rentrant je pose une carte pour les outils. RESPIRER LE BROUILLARD. Qui efface nos sentiments nous rendant flou. C'est avaler un fantôme. Drap inclus. À présent nous nous orientons autrement. Notre somnambulisme est en marche. Rue de Chassagnolle. Je coupe deux fois et pose une carte à l'est des CONTES ALGÉRIENS. Elle indique ce qu'il faut mettre à l'écart pour l'instant. DES ARLEQUINS. Ce sont des livres comme des masques. C'est une couverture qui tombe. Du lit à une place pour dormir bien seul. Pour être bien sûr qu'un autre corps ne s'ajoutera pas au tien durant la nuit. Tu détaches la couverture cartonnée qui protégeait les pages du milieu. Une tache de sang apparaît sur le t-shirt blanc qui sent encore la lessive. Tu ranges le Beretta 9 millimètres dans une boite à chaussures tout en haut de la penderie. Pour la prochaine fois. Relâche les épaules. À droite des CONTES ALGÉRIENS je pose une carte pour ce qui manque. Qu'il faut rechercher. Absolument. LA COMTESSE DE SÉGUR. C'est une terre impalpable qui te traverse les chaussettes. Se niche entre les orteils. Le petit dépôt brun quand tu te déchausses. Le talon en appuis sur le bord du lit. Ce n'est pas déplaisant. En général cette marque légère nous rajeunit. Tout en bas à gauche je retourne le tas de cartes pour avoir une lecture d'ensemble. ENFANT GUITARE ROUGE. C'est un cadeau. On vous a dit que vous alliez recevoir un cadeau? Cela tombe bien. Un danseur brésilien couvert de plumes mauves. Il approche. Sur échasses. Accompagné de percussions. C'est un tirage dominical. Emplie de brouillard la parole est une bouteille. Boire un demi verre tous les matins à jeun.
Barbara Manzetti

Epouser Stephen King / activations du 5 au 10 avril à Khiasma (festival Relectures XI)