vendredi 20 mai 2011


Exposition "Image trouvée" de Sabine Massenet

RETRO / Les expositions de la saison "Manifeste pour des villes Invisibles"
1. Image trouvée de Sabine Massenet

Du 10 février au 24 Mars 2011 à l'Espace Khiasma


Tout commence par une simple carte où est portée l’inscription « Si vous trouvez cette image veuillez écrire à l’adresse suivante… » Ce n’est pas un jeu d’argent, ni un concours, plutôt une invitation. Sabine Massenet dépose ses messages énigmatiques comme d’autres jettent des bouteilles à la mer. Glissées au hasard des livres d’une dizaine de bibliothèques de Seine-Saint-Denis, ces petites cartes bizarres illustrées d’une image non moins étrange – dans un noir et blanc hitchcockien, on y voit des mains qui ouvrent un mystérieux message – sont le départ d’une aventure de longue haleine à la rencontre de lecteurs anonymes du Nord-Est parisien.


Pendant près de deux ans, Sabine Massenet a ainsi correspondu avec des hommes et des femmes de tout âge qui entretiennent chacun une relation particulière au livre. Que lisent-ils ? Pourquoi lisent-ils ? Où lisent-ils ? De l’enfance ressurgissent les premiers livres, les obsédants, les interdits et la lecture devient alors abri, révélation, colère ou fuite loin des contraintes de la vie matérielle et du temps qui passe. Certains ont accepté de rencontrer l’artiste, près d’une vingtaine d’être filmés.

Pour autant, Image Trouvée n’est pas un film documentaire, mais un objet hybride où Massenet met en scène l’espace d’une rencontre dans un somptueux agencement de plans qui glissent les uns dans les autres. Des « portraits avec livre » qui sont autant d’explorations de lieux cachés, loin des clichés qui collent à l’image du 93.


Vidéaste confirmée, Sabine Massenet ouvre avec cette installation aux projections multiples un nouveau chapitre de son travail, plus vaste, plus ample que jamais. Une collection de rencontres, d’objets et de mots qui inventent un art du récit impressionniste. Divisée en trois chapitres (contenant chacun six portraits), l’exposition offre autant de rendez-vous. Un feuilleton à la découverte de ce monde de lecture, qui passe de la gravité au rire, du béton aux vergers.

Exposition présentée en trois parties :
- à partir du 10 février :
Chapitre 1 (Saint-Denis – Noisy-le-Grand – Bobigny),
- à partir du 24 février
: Chapitre 2 (Aubervilliers (1/2) – Saint- Ouen – Montreuil -sous- Bois (1/2)),
- à partir du 10 mars
: Chapitre 3 (Aubervilliers (2/2) – Rosny-sous-bois – Montreuil -sous- Bois (2/2)

- Lire l'entretien de Sabine Massenet avec Olivier Marboeuf, commissaire de l'exposition

- Voir des photos de l'exposition ici et

Image trouvée est une installation produite par Khiasma dans le cadre de son programme «Manifeste pour des villes invisibles». Avec le soutien du Département de la Seine-Saint-Denis (résidence arts visuels) et des bibliothèques du 93.

mardi 17 mai 2011

Feuilleton d'un chantier 10



Ne vous laissez pas limiter par l'idée du Pays Basque. Ne vous focalisez pas sur la réintroduction d'espèces disparues. Ne pensez pas aux loups qui guettent les troupeaux. Ne pensez pas aux restes d'un mouton dans un alpage. Ne pensez pas aux ours. Cessez d'être fasciné par les aigles, par les chouettes immenses, par les bouquetins. Ne pensez plus aux créatures. Ne pensez plus le règne animal comme un empire industriel déposé dans le paysage. Ne vous limitez pas. N'imaginez pas un paysage de chalets couverts d'une poussière de graphite. Oubliez pour un instant les usines incrustées dans les crevasses, les fabriques troglodytes. Débarrassez-vous du sentiment d'autoroute, de la sensation de snack. Ne pensez plus à l'extraction, à la transformation. Chassez de votre esprit les lacets de la route, les semi-remorques, les 30 tonnes, les phares qui disparaissent, les lumières qui clignotent. Ne pensez pas non plus à Lavera, aux raffineries, aux cheminées qui crachent des flammes jour et nuit, à l'odeur de pétrole, au mouvement lent des tankers à l'horizon. Même s'il vous faut garder à l'esprit le sentiment de trouble de la distance. Et les grottes. Ne pensez plus en terme de fournaise, de feu, d'incendie, de canadaires, de collines chauves. Pensez à un monde sauvage. Pensez à un monde sauvage caché à l'intérieur, à la Préhistoire dissimulée dans une lisière, perdue dans un pli. Abandonnez l'idée de suspension hydraulique, de conduite assistée, de berline, l'idée de ceinture de sécurité, de verre modifié, d'écosystème climatisé. Oubliez l'idée de glisser sans jamais vous perdre. Oubliez le GPS, l'Airbag passager, le tableau de bord électronique. Vous êtes un chasseur, vous êtes sur une piste, vous levez les barrières, bravez les interdits, vous êtes au cœur d'un monde ancien.
Ne craignez pas le poison, les morsures, les substances inconnues. Ne craignez pas l'ivresse, les montées et les descentes. Ne craignez pas les herbes, ne craignez pas les feuilles, ne craignez pas les indiens qui titubent la bave aux lèvres juste avant de devenir des loups. Pensez au peyotl, aux bouquets de cactus gris qui recouvrent le sol. Pensez à la mescaline. Pensez à la canopée. Pensez à l’Ophiocordyceps unilateralis. Pensez aux fourmis-zombies qui grimpent jusqu'à la canopée. Vous y êtes. Ne perdez pas de temps avec les détails, le ciel rayé des trajectoires d'avions, les déflagrations au loin dans la montagne. Un vol d'étourneaux peut-être. Focalisez-vous sur la Préhistoire, les grottes, le sentiment de trouble de la distance et la canopée. Un monde sauvage est entré par votre bouche et se déplie maintenant.

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dimanche 15 mai 2011

Feuilleton d'un chantier 9



Il avait ainsi marché pendant des heures, sans même se rappeler de son compagnon. Il le voyait mettre la main au-dessus du feu. Il le voyait sentir la chaleur. Il le voyait plisser les yeux. Il le voyait apercevoir au loin le scintillement d'une torche. Il le voyait suivre sa piste, renifler ses empreintes. Il le voyait scruter les motifs du chemin, légèrement déplacés par la pression d'un corps. Il le voyait imaginer la taille du marcheur, sa corpulence. Il le voyait passer la paume sur la surface du sol, tenter de sentir les pleins et les vides, les rythmes et les ruptures, les occurrences et les oublis. Il le voyait porter un doigt à sa bouche et par sa bouche faire remonter dans tout son corps une route possible. Il le voyait se muer en un chasseur. Il le voyait se transformer en animal et s'engager dans la forêt. Mais il avait renoncé, voyant la torche faiblir, voyant la forêt s'assombrir, voyant la route s'effondrer dans une faille, voyant les dépressions, voyant les éboulis, il était probablement redevenu lui-même et avait rebroussé chemin. Il ne pensa plus à ce compagnon perdu, il ne pensa plus à sa vie d'avant.

Il n'avait rien mangé depuis longtemps. Il mâchait les feuilles et les tiges d'une plante qui tapissait la chape. Cela ressemblait à un cactus grisâtre sans épine qui dessinait des cercles sur le sol. Il en avait remplit son sac. La fumée était devenue très épaisse. Il distinguait maintenant l'infinité de ses détails, les plus infimes replis, les cascades, les gorges, les trompe-l'oeil. Il passait sa main sur des bas-reliefs, des chiens, une chasse à courre, une scène du Moyen-âge avec des mendiants et des chevaliers, un calife sur un éléphant. Ses doigts s'enchevêtraient dans des motifs, il avait cru perdre un instant sa main, voir un moignon sanglant à la place. Il avait cru sentir chaque partie de son corps séparément. Il percevait maintenant chaque variation de l'espace, déplacement de masses d'air, froissement de la fumée. Bientôt il entendit distinctement un chant. C'était un air de son enfance chanté par sa grand-mère dans une langue disparue mais qu'il comprenait.

Il titubait. Le sol se gonflait et se dégonflait sous l'effet d'une respiration mécanique. Il marchait sur un tapis de cactus grisâtres qui soupiraient. Il pensait à une terre volcanique. Il percevait l'ensemble de la forêt, comme une carte entrée par sa bouche et répandue à l'intérieur de son corps. Il avait clairement la perception des bordures, des motifs, des chemins et des précipices. Il parvenait à pénétrer sans mal le corps des animaux, à sentir un monde immense et sombre, à sentir la matière en mouvement, les hormones, les hurlements et le sang. Il était dans chaque terrier, sur chaque branche, dans chaque lisière, dans chaque respiration.

Puis il s'assit et se sentit soudainement très triste. Il n'avait plus de cactus dans son sac. Entre ses orteils qui dépassaient de ses chaussures s'échappait un mince filet de fumée. Il ne sentait plus rien qu'une forêt vide et ridicule comme celle qu'il avait toujours connu avant de partir. Il entendait un bourdonnement, un bruit sourd et en lui se formait lentement une dernière image. Une vague d'eau grise. Une vague qui avançait lentement. Qui sortait du lit d'un fleuve. Qui grossissait. Qui doucement balayait les bateaux, les posaient sur les autoroutes. Et bientôt les voitures, les bus, les camions citernes, les entrepôts, les ponts. Et bientôt la ville entière transportée sans bruit dans un geste souple et liquide. Lorsque la vague fut enfin si grande qu'elle dominait la forêt, qu'elle posait son ombre sur toute chose, que les animaux s'y noyaient dans des tourbillons silencieux, il s'endormit.

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lundi 9 mai 2011

Feuilleton d'un chantier 8




Il creusait maintenant depuis des heures. Il se tenait au fond d'un trou de plusieurs mètres de profondeur. N'avait ni faim, ni soif.
Il avait traversé nombre de matières inconnues de lui. Tantôt granuleuses, tantôt fluides, molles, bouillonnantes, cassantes, des torrents de billes synthétiques, des cristaux irréguliers, des coulées, des couches de sédiments, des cylindres de toutes les tailles. ll avait pensé chalcopyrite, micaschiste, granit rose, mais avait vu d'autres choses. Il avait imaginé silex, ardoise, grès, tourbe, basalte mais rien de ce qu'il voyait ne portait ce nom. Une odeur d'humus et de plastique fondu, de pétrole, une odeur d'animaux et d'oxydation, de gaz souterrain, de minerai, de charogne et de ciment. Une odeur de phosphore, de souffre, de polystyrène extrudé, de mousse et de putréfaction.

Il avait atteint une épaisse couche d'argile humide. S'y était plongé. On ne pouvait plus le reconnaître comme un bûcheron. Il n'était plus qu'une masse de glaise qui s'agite, une créature vaguement humaine poussant cris et grognements étouffés. Cela dura de nouveau un long moment et il crut qu'il n'arriverait pas à traverser cette terrible masse. Son esprit s'en allait. Il imaginait des mains qui pétrissaient la glaise et formaient un à un des petits hommes de terre. Bientôt, il y aurait des couples, des villages avec des toits de paille, le fumet d'un gibier jeté dans le feu, des dessins, des outils et très vite une armée avec des hommes montés sur des chars, tirés par des tigres, et des pierres empilées, des dieux et des charniers, autoroutes, buildings, créatures indistinctes posées dans la périphérie, émeutes, hélicoptères, projecteurs, charniers, renouveau, arche, déluge, tsunami, marée de boue informe, glaise redevenue glaise, tourbillon, tornades figées dans le ciel avec incrustations de mobile-homes, pavillons, souvenirs, voitures et chiens.

Quand sa pioche frappa de nouveau un objet solide, il revint à lui. Il chercha à tâtons, toucha au sol quelque chose de froid. Il regarda au-dessus de lui. Il s'était enfoncé de plusieurs mètres. La fumée avait envahit la forêt et entrait maintenant mollement dans la cavité qu'il avait creusé. Il ne distinguait pas le ciel, ne distinguait plus aucune forme familière. Avec le bout de sa chaussure, il découvrit les croisillons d'une grille qu'il souleva à l'aide de sa pioche. Un air frais entra par la base du trou et la fumée disparu bientôt dans les profondeurs. Il était prêt à s'engager lui aussi dans le tunnel quand il pensa soudain à la surface. Pas à l'autre bûcheron qui était parti dans la forêt ancienne, pas à sa lente progression, pas à la sensation d'un sol incertain sous sa voûte plantaire, pas aux cris d'animaux jadis domestiques, pas à la sensation de trouble de la distance, pas à la brume. Il pensait simplement à ce qu'il avait fabriqué sans le savoir en extrayant tous ces alliages inconnus, ces tonnes de matière qui maintenant s'entassaient à la surface. Il pensa qu'il avait créé une montagne, une montagne d'un genre nouveau.

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dimanche 8 mai 2011

Feuilleton d'un chantier 7


© Matthieu Gauchet

Imaginez une montagne au loin. Imaginez une falaise. Imaginez le trouble de la distance. Pour imaginer une montagne, rappelez-vous qu'il est nécessaire de ressentir le trouble de la distance. Peut-être qu'il vous faudra de la brume. Imaginez une masse obscure, la masse obscure et l'infinité des détails. Et la brume par-dessus. La masse et les détails sont indissociables. Garder en tête qu'on ne peut penser les choses séparément, que les sensations se concentrent en un seul point, en un seul moment. Vous avez peut-être déjà oublié la Préhistoire. Ce n'est pas grave. Elle reviendra d'elle-même le moment venu.
Imaginez maintenant la montagne et le trouble, la falaise et le trouble, le cratère, l'aven, la concrétion, la sédimentation, la faille et le trouble. Imaginez une masse immobile peut-être depuis plusieurs millions d'années, immobile mais en mouvement imperceptible. Imaginez maintenant des montagnes ouvragées par la main de l'homme. Pas un sentier, pas un chemin, pas une allée, pas une promenade de douaniers, pas un marquage sur les arbres, pas un point de vue, pas un tunnel, les montagnes elles-mêmes. Les montagnes gigantesques, les montagnes en silhouette et le trouble de la distance qui va avec. Le trouble et les montagnes tout entières sorties de terre. Imaginez cela mais sans tremblement de terre. Il ne faut pas penser tremblement de terre maintenant. Il faut penser à l'ouvrage, à la main de l'homme, au pouce inversé, à cette terrible histoire de pouce inversé qui a séparé l'homme du reste, qui a fait des créatures particulières, des outils particuliers et maintenant des montagnes particulières. Gardez en tête ce moment précis de la Préhistoire, qui fait sortir de la nuit cette masse trouble sans sentier, ni parking, sans GPS, sans bulldozer, sans usine éclairée de nuit par des projecteurs. Imaginez les phares des voitures dans le ciel, imaginez une masse sombre devant vous où glissent des lumières. Vous pouvez penser au Pays Basque. Si cela vous aide à voir avec plus de précision, vous pouvez penser à une frontière dans la montagne. Vous pouvez penser à un voyage de nuit vers le Portugal et à la traversée du Pays Basque, à des chemins qui découpent les montagnes, à des carrières et à la nuit par-dessus et à la brume par-dessus et au trouble de la distance et aux phares aussi. Vous pouvez penser "des phares pareils à des insectes perdus dans la nuit". Vous pouvez penser ainsi mais ça n'est pas obligatoire. Cela dépend de votre expérience personnelle. Certains penseront métal en fusion, d'autres, roches en bloc régulier, craie, poussière, odeur de fumée, étincelles, crasse, certains penseront Gustave Eiffel, Alstöm, certains penseront visages noirs d'un autre temps, et d'autres, probablement les plus nombreux ne penseront qu'à la route qui irrémédiablement trace une ligne dans la nuit sans jamais faiblir, sans jamais renoncer à franchir les lisières du sommeil.

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mercredi 4 mai 2011

Feuilleton d'un chantier 6



Quand il est arrivé, il a tout de suite senti la fumée. Il a tendu sa paume au-dessus du feu pour en mesurer la chaleur. Il est resté longtemps ainsi. L'absence de l'autre bûcheron ne l'inquiétait pas. Il l'avait vu chaque jour pendant de longues années. Il avait partagé en silence avec lui le travail de bûcheron. Il avait partagé en silence les moments contemplatifs, les moments d'extase devant ce paysage toujours nouveau, les moments d'inquiétude, les petits incidents, la peur revenue de l'enfance, le sentiment de Préhistoire, l'envie de cataclysme, le désir de fin du monde.
Mais il avait gardé en lui beaucoup de désirs secrets aussi.
Il était venu avec une pioche. Ce jour-là et c'était la première fois il était venu avec une pioche. Il ne se l'expliquait pas. Lorsqu'il sentit la fumée, il se rappela qu'il avait cette pioche dans son sac. Alors il ne brancha pas la machine. Alors il laissa l'atelier de bûcheron ainsi sans allumer de lumière, sans contrôler, sans mettre ses gants, sa combinaison, ses lunettes. Il se sentait un peu nu sans tout ce pétrole sur le dos. Mais cela ne le dérangeait pas. Comme l'absence de l'autre bûcheron dont il apercevait au loin le scintillement de la torche. Il se plaça au centre de la clairière et commença à démonter le sol. Il l'avait toujours vu ainsi comme une évidence. Et aujourd'hui il le démontait. Il avait le sentiment diffus de mettre fin à une illusion. Et à la fois, il ne savait pas si lui même n'allait pas fabriquer de nouveau un phénomène naturel. Comme la forêt. Naturel et ouvragé de mains d'homme. Très vite il arriva à la chape et entrepris de la casser. Il lui faudrait une masse et probablement d'autres outils. Mais il n'avait pas le temps de retourner en ville. Il ne savait pas quelle heure il était, mais dans son esprit il serait de retour à la fin de la journée. C'est ce qu'il pensait.

Feuilleton d'un chantier 5



Il a entendu une musique. Parce qu'il est venu plus tôt aujourd'hui, il a entendu une musique. Il pense que c'est pour cette raison. Il a allumé une torche. Il a laissé derrière lui la machine et tous ses outils de bûcheron. S'il se retournait, il verrait sans doute toute sa vie de bûcheron posée sur le sol. Mais ce qui l'intéresse c'est d'aller vers la musique. C'est tout ce qui l'intéresse. Il n'a sur lui qu'un maigre sac. Il a son déjeuner et un couteau. Il pense qu'il sera revenu ce soir ou qu'il trouvera un ville ou qu'il apprendra à se nourrir de racines, à faire des pièges, à manger des serpents, des singes.
Il ne l'a jamais fait. Mais il compte sur son instinct. Il se dit qu'il est un produit de son environnement, que les choses se feront naturellement. Il avance dans la forêt épaisse, ancienne dont il imagine qu'aucun bûcheron n'a jamais foulé le sol. Ou alors à la Préhistoire. Il ne peut s'empêcher de penser à la Préhistoire même s'il n'entends aucun autre son que le léger sifflement d'une machine à fumée. Et peut-être aussi le bourdonnement des lignes électriques. Il progresse dans des gorges maintenant. Il ne compte pas ses efforts. Il n'est jamais allé aussi loin. Tout lui paraît familier mais assemblé d'une manière nouvelle. Et ainsi tout lui paraît sauvage. Sauvage et familier.

Jusqu'au 5 Mai, L'Espace Khiasma est un chantier de carton.
Olivier Marboeuf en propose l'étrange feuilleton.

Nous vous attendons le jeudi 5 Mai à partir de 18h30 pour le vernissage de cette suprenante nouvelle œuvre du duo Studio 21bis > réserver
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mardi 3 mai 2011

Feuilleton d'un chantier 4



Parfois l'un pense arrêter d'être bûcheron. Il pense à allumer une torche et à s'enfoncer dans la forêt. Il pense à la fin de sa vie de bûcheron. Il se demande à quoi ressemblerait la vie d'explorateur. L'autre pense la même chose. Mais ne le dit pas. Il pense aux profondeurs. Il pense qu'il faudrait chercher dans les profondeurs. Il pense qu'il faudrait démasquer un simulacre. Mais aussi quand il pense aux profondeurs, il pense au coelacanthe. Il pense à un poisson préhistorique. Il pense aux vertébrés sarcoptérygiens. Il pense à un animal caché qui a traversé le temps. Il pense aux temps anciens. Aux temps anciens, aux légendes et aussi aux simulacres. Il imagine des câbles électriques, des fibres optiques, des pipelines, des pistons hydrauliques, des télécommandes. Il pense à une température régulée, à un taux d'hygrométrie régulé, à des machines à fumée et à la fois il pense à la flore des profondeurs et à ce que mange un coelacanthe et aussi au temps dans l'esprit du coelacanthe, à la manière dont se déroule le temps dans l'obscurité d'un fleuve. Parfois il reste accroupi dans une clairière. Il ramasse quelque chose en même temps qu'il regarde son compagnon, lui aussi presque immobile, débout, à contempler le travail accompli. Il pense peut-être à une falaise accidentée. Il pense peut-être à la vie d'un explorateur qui mesure une île avec son corps, en marchant. Ne pense pas comme son compagnon aux problèmes d'échelle, à l'industrie du rêve. À la post-synchronisation. Ne pense pas aux trucages, aux images de synthèse. Pense entièrement avec son corps, pense avec la matière de l'ombre, la matière du climat, la matière de l'espace.
Il a prit une décision. Demain il allumera une torche.

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lundi 2 mai 2011

Assemblée générale de Khiasma Vendredi 13 Mai


Cher(e)s Ami(e)s,

Nous sommes heureux de vous inviter à la prochaine assemblée générale de Khiasma qui aura lieu le 13 mai à 19h.
Un moment privilégié et indispensable pour faire avec vous le bilan de l'année, voter le rapport moral et financier de Khiasma, évoquer ensemble les perspectives que nous dessinons pour le lieu et élire notre prochain conseil d’administration.

Khiasma est une fabrique où s'expérimentent depuis 10 ans des formes artistiques à la croisée des arts visuels, des arts plastiques, de la littérature contemporaine et de la performance.
C'est aussi un lieu de parole, de débat, porté par une initiative citoyenne indépendante.
L'année 2010 a été une année de fort développement pour l'Espace Khiasma avec un accueil public enthousiaste et un plaisir à se retrouver qui ne se dément pas. Avec également de nombreux projets produits et artistes accueillis en résidence.

Pour 2011 et malgré un contexte économique de plus en plus fragile, l'Espace Khiasma tient à préserver sa singularité et la gratuité d'accès à sa programmation. Notre niveau d'exigence et d'engagement pour ce lieu ne faiblit pas et nous serions heureux de pouvoir partager avec vous les projets en cours.
Pour nous aider à poursuivre et à tenir cette ligne, votre présence et votre implication dans la réflexion est aussi importante pour nous que votre prochaine adhésion.

Nous vous invitons donc à être présent à nos côtés le 13 mai à 19h à l'Espace Khiasma pour parler autant de l'inscription local de ce lieu précieux que de ses perspectives de rayonnement.
Nous espérons partager avec vous autour d'un verre nos idées, écouter les vôtres.

Nous vous attendons nombreux !
L'équipe de Khiasma.

dimanche 1 mai 2011

Feuilleton d'un chantier 3



Mais aussi ils s'arrêtent de travailler. Parfois subitement mais souvent à une heure précise. Ils n'ont pas besoin de se parler. Ils ne se parlent pas. Ils le sentent dans leurs muscles. Ou alors c'est que la machine est cassée. Dans ce cas, l'un d'entre eux l'attache en silence à l'arrière d'une moto et roule vers la ville la plus proche. Et revient bientôt avec une machine neuve.
Le soir, chacun rentre chez soi sans dire un mot. Ils partent parfois sur une moto. Ils partent parfois l'air pensif. L'un a peut-être aperçu un animal, l'autre a senti une odeur de fumée. Des signes de vie. Ils n'en parlent jamais. Ils se tiennent à l'idée de bûcherons silencieux.
Et s'ils n'étaient pas seuls ? Si la nuit des animaux mystérieux venaient se rouler en boule dans leurs vêtements fabriqués avec du pétrole. Si la nuit, d'autres bûcherons s'appliquaient comme eux à étendre une forêt, à dévoiler des massifs, à faire apparaître des mangroves.
Alors ils regardent toujours en arrivant si tout est en place, si la machine a refroidi. L'un cherche des traces sans le dire. L'autre aussi. Pensez à des chasseurs préhistoriques, pensez à des chasseurs qui poursuivent un bête dont ils ignorent la taille. Pensez à une grotte car il y a toujours des grottes à la Préhistoire, des grottes souterraines et des bêtes aux narines fumantes. Pensez à de la fumée, à tous les dessins que peut faire une fumée en se tordant. Pensez à la grotte, à la forêt et à la fumée. Vous voilà prêt à fabriquer un marécage.

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